Alec-Phil DECANTELLE
(3/4) Des concours de lancer à la grande guerre...
Le
programme comportait des épreuves de lancer au moulinet de 70 grammes,
40 grammes, et 15 grammes, certaines de distance et certaines de précision
à disputer sur le pré, ainsi que des épreuves de mouche à truite
distance, canne lourde et canne légère, et des épreuves de précision
pour terminer, avec une de mouche à saumon distance à disputer sur
l’eau. Avec
les frères Perry, les frères Orlhac, Edmond Louche, Christin et de
Brancion, nous allions faire des séances d’entraînement le matin, de
bonne heure, sur une pelouse du Bois de Boulogne bordant la Seine, et où
se trouve maintenant le parking de Longchamps, et nous faisions tous des
progrès indiscutables ; malheureusement, nos effort pêchaient par
la base, car nous appliquions à nos lancers la tactique pêche, au lieu
de la tactique concours, que nous ignorions. Enfin
le grand jour arriva et les présentations sur le terrain firent apparaître
que l’Angleterre avait envoyé tous ceux qui comptaient comme grands
noms dans le monde de la pêche. Il
y avait d’abord le vétéran Graham Clarke, un richissime pêcheur de
saumons, qui louait chaque année une des meilleures pêches de Norvège,
et qui me laissait rêveur lorsqu’ il me racontait avoir pris huit
grands saumons dans sa journée. Je
constatai toutefois, avec plaisir, que Graham Clark ignorait tout autant
que moi la tactique concours, et que tous ses lancers avaient le
« moelleux pêche ». Il y avait aussi J.J. Hardy, accompagné
de ses deux neveux, Harold et Laurence; Hunter, le directeur de la
maison Farlow; Hugues, un colosse qui excellait dans toutes les sortes
de lancer; R.B. Marston, directeur de la Fishing Gazette, et Plevens,
petit mais bien musclé, qui lançait confortablement la mouche à
saumon à 40 mètres. Comme
lanceurs de poids, figuraient Philip Geen, l’inventeur des leurres du
même nom, et T. Emery, qui détenait depuis plusieurs années le record
du monde du lancer du poids de 40 grammes avec la distance de 60 yards. La
Belgique était représentée par trois concurrents, dont Léon Seutin,
très bon lanceur et surtout remarquable pêcheur. Les
épreuves de mouche furent un désastre complet pour l’équipe française.
En distance canne légère, je finis quand même premier des français
et quatrième du classement général, avec la distance de 22,50m,
distance qui semblerait ridicule actuellement. En mouche précision, Orlhac, le Dr Maymou et Seutin obtinrent chacun un prix; en mouche à saumon, tous les anglais sans exception se classèrent avant le premier des français.
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M.
Hugues
M.
Bouglé
M.
Decantelle
M. Bergès
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Pour
le lancer du poids, à part Emery qui gagna l’épreuve de 40 grammes,
suivi de prés par Wiessmann, tous les autres anglais durent
s’incliner devant les français. Je
gagnai l’épreuve de 70 grammes distance, suivi de prés par Maymou et
Edmond Louche; Bouglé gagna l’épreuve 15 grammes distance, et Seutin
celle de 15 grammes précision. Lorsque
l’épreuve 15 grammes précision commença, le Vicomte de France, avec
sa traditionnelle « boîte à petit pois », mit son premier
lancer au centre de la cible, et plusieurs anglais élevèrent une
protestation sous prétexte qu’un moulinet dont le tambour ne révolvait
pas, n’était pas un moulinet. Les juges, après une brève délibération,
admirent la réclamation et de France fut prié d’employer un moulinet
classique à tambour tournant, ce qu’il fit du reste de bonne grâce. Pour
résumer : sur douze épreuves, l’Angleterre en avait gagné
neuf, la France deux et la Belgique une. Le
résultat fut pourtant très satisfaisant, car nous avions compris la
tactique à employer, et de fait, jamais plus l’Angleterre ne
renouvela ce même succès. Dès
l’année suivante, la situation était renversée, et si les anglais
remportèrent encore quelques prix dans les concours internationaux, la
majorité revint toujours au français. Au printemps de chaque année, Le concours du Casting-Club de France, qui durait alors trois jours, avait lieu dans le cadre habituel du Tir aux Pigeons, et devint rapidement un événement mondain et sportif qui réunissait les meilleurs lanceurs d’Europe. Dans
ce concours, ouvert à tous les amateurs, il y avait bien chaque année
quelques nouveaux venus, mais dans l’ensemble c’était toujours les
mêmes. Ils
considéraient presque comme un devoir de venir prendre part à cette
importante manifestation où ils avaient le plaisir de retrouver les
amis des années précédentes et l’avantage d’apprendre, chaque
fois, quelques perfectionnements nouveaux dans le lancer. Dans
les épreuves de précision, que ce soit au lancer du moulinet ou de la
mouche, personne n’affirma jamais une nette supériorité sur les
autres concurrents, de sorte que les épreuves étaient gagnées tantôt
par l’un, tantôt par l’autre. Il
en fut autrement des épreuves de distance, qui nécessitent une
tactique spéciale et un entraînement sérieux, de sorte que la sélection
s’opéra petit à petit, les mêmes épreuves étant généralement
gagnées par les mêmes lanceurs. Pour
la mouche distance, Hugues gagnait régulièrement les épreuves de
canne à truite et Plevens les épreuves de canne à saumon. La
pêche à la mouche fût et reste toujours ma pêche favorite, et même
probablement pour cette raison, je ne devins jamais un pêcheur de
distance, car un réflexe instinctif me forçait à mettre trop de
moelleux lors du dernier coulé. Pour
le lancer roulé de la mouche, Perruche avait acquis une telle supériorité
dans ce genre de lancer que, sans avoir l’air de fournir le moindre
effort, Il s’assurait toujours automatiquement la première place. Pour le lancer du moulinet, Louis Bouglé qui s’était spécialisé dans le lancer des poids léger, lancer encore peu connu à l’époque, s’assurait régulièrement la première place dans l’épreuve de 15 grammes et celle de 7,5 grammes. Je
ne réussis jamais dans les épreuves de lancer léger et, bien
qu’ayant été battu la première année par Louche dans l’épreuve
de 70 grammes, et par Maymou dans celle de 40 grammes, je persévérai
dans mon entraînement et à partir de la seconde année, je m’assurai
à peu près régulièrement la première place dans ces deux épreuves,
améliorant progressivement mes distances. C’est ainsi qu’en mars
1913, j’eus le plaisir et l’honneur d’être le premier à dépasser
à la fois, en concours, les distances de 100 yards et de 100 mètres
avec un lancer de 107 mètres dans l’épreuve de 70 grammes. J’étais
suivi d’assez loin, cette fois, par Maymou et Louche.
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Alec-Phil Decantelle, détenteur d'un record du monde, 6 mars 1913 |
Nous
étions parfaitement entraînés tous trois et nous utilisions des
engins de même marque, mais j’étais avantagé par la taille et le
poids. Il y avait pourtant deux concurrents qui auraient pu me battre.
C’étaient Bergès et Marcel Fayaud, deux athlètes admirablement bien
musclés, mais qui n’eurent jamais la patience et la volonté de
s’entraîner sérieusement. Quelques
jours après le concours de 1913, il me fut remis officiellement, au
cours d’une soirée chez le Prince Pierre d’Arenberg, un certificat
de record avec la mention suivante : CASTING-CLUB de France Vème Concours International de Lancer Epreuve n° 11 – Lancer du moulinet distance – Poids de 70 grammes. 6 mars 1913 RECORD
du MONDE M. A.-P. Decantelle a atteint la distance de cent
sept mètres. Canne en bambou refendu. Longueur de la canne : trois mètre quatre-vingt-deux centimètres. Poids de la canne : quinze cent trente-cinq grammes. Signé : Prince Pierre d’Arenberg L. Bouglé.
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Ce certificat, établi sur parchemin et signé du Président et du
Vice-Président du Casting-Club, est scellé par un ruban tricolore
portant les Armes des d’Arenberg ; je l’ai toujours gardé en
souvenir.
Il y a lieu de remarquer que les concours du Casting-Club étant alors strictement des concours d’amateurs, les cannes, moulinets et soies étaient mesurés, pesés et contrôlés avant les épreuves, mais qu’il ne devait en aucun cas être fait mention ni de marque ni de nom de fabricant. » |
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Decantelle devient alors Agent
Général de la prestigieuse maison Hardy avant que n'éclate la Grande
Guerre dont il pensait comme tous qu’elle ne durerait tout
au plus que quelques mois…
Sérieusement blessé sur le front, il fut évacué et rapatrié... avec une de ses cannes à pêche qu'il avait eu soin d'emporter et qu'il ne quittait sous aucun prétexte !
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